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Inveterata dolorem


Vivre avec la douleur chronique. C'est ce que la vie a exigé de moi et m'a appris au cours des deux dernières années.


Nous sommes au printemps 2017. Un inconfort a pris pour décision de fréquenter de façon assidue la région de mon cou. Je connais cette sensation, et habituellement, la relation dure quelques jours, quelques semaines tout au plus. Un cocktail composé d'anti-inflammatoires et d'étirements en profondeur vient normalement à bout de ce déplaisir. Mais pas cette fois. Non seulement l'inconfort perdure, mais se transforme doucement en douleur, jusqu'à ce que mon visage, mes bras et le haut de mon dos en soient également atteints, jusqu'à ce que j'en perde le sommeil, ma concentration, mon énergie et ma capacité à vaquer à certaines de mes obligations quotidiennes. En novembre 2017, suite à une multitude d'examens, le diagnostic tombe : je souffre de douleurs neuromusculaires. Mon corps va bien, mes muscles sont en santé, mes os aussi, mais mon cerveau en a décidé autrement : un glitch dans ma matrice neuronale est effectif. Et j'ai mal, en continu.


Reset. La vie m'oblige alors à repartir à zéro : en l'espace de quelques mois, je suis passée de kickboxer et spartan racer à une carcasse incapable de pousser seule son panier d'épicerie; d'un feu inépuisable d'énergie à une source tarissable de vitalité; du sentiment de bien-être physique inconscient à une permanente sensation de douleur, quant à elle, très consciente.


Cette douleur m'a tout d'abord appris la notion de limite, concept avec lequel j'avais peu d'affinités. Mon intensité n'avait de frontières que celles imposées par les autres, rarement les miennes. Or, de par ma nature combative, mon premier réflexe a été de lever les armes contre cette nouvelle réalité qui s'imposait à moi. Et j'ai dénié celle-ci du plus fort que j'ai pu, jusqu'à ce que, étalée de tout mon corps sur le plancher froid de mon salon sous le poids de l'insoutenable souffrance physique, j'éclate en sanglots devant la certitude que ma vie ne serait plus jamais la même. Et que c'était correct ainsi. La vie m'apprenait, à travers ma chair, à cultiver la patience, la tolérance, la lenteur et à lâcher-prise.


Cet apprentissage ne s'est toutefois pas fait sans écueils. Mes créations de 2017 et 2018 transpirent de cette révolte de me heurter aux nouvelles limites que m'imposait alors mon corps. Je ne pouvais plus molester le sac de frappe et abattre des obstacles à la course; j'allais symboliquement le faire dans mon art. L'inconscient trouve toujours le moyen de s'exprimer si une voie officielle ne lui est pas offerte. Et l'art est un puissant vecteur de nos émotions et de nos pensées. L'émancipation de la femme, et la mienne par le fait même, demeure le cœur de ma démarche artistique. Avec le recul, toutefois, je réalise que le chemin emprunté varie au rythme de mes états d'âme et de mon vécu du moment.


Aujourd'hui, je suis encore sur le chemin de l'acceptation ; accepter qu'on guérit rarement d'un tel type de douleurs, qu'on arrive à tout le moins à les diminuer. Ce qui est le cas, heureusement. Je prends ainsi soin de moi doucement. Et surtout, je gère mon attention de sorte à momentanément tromper mon cerveau : les heures passées dans mon atelier sont parfois les seules heures de ma journée où pour un instant, en plein état de flow, je ne ressens plus les limites imposées par mon corps et où la douleur ne vient plus m’enlacer.


Et le plus magnifique dans cette aventure ? C'est que cette expérience me mènera, et me mène déjà, dans un ailleurs que je n'aurais pas visité autrement.


Notes : Pour une lecture sur les bienfaits de l'art sur la santé mentale, c'est par ici.

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